Société

Réflexions sur l’activisme LGBT à Taïwan

Rau E-Ping
| No. 9 | Posted on 23rd Feb 2017

Un projet de loi fait actuellement l’objet d’un débat à Taïwan : l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe. Les militants LGBT1 ont soutenu ce projet par des défilés et des encarts ou spots publicitaires, alors que les chrétiens fondamentalistes, à l’instar de la « Manif pour tous » en France, s’y sont fortement opposés par des manifestations et du lobbying.

Cette tentative de réforme sociale, n’est pourtant pas le seul mouvement dans l’histoire de l’activisme LGBT à Taïwan : en octobre dernier, la 14e Marche des Fiertés de Taïwan a lieu à Taïpei et plus de 80 000 personnes, locales et internationales, manifestent et participent aux festivités dans les rues, amplifiant les appels à l’égalité sociale. Cet événement, qui se perpétue depuis sa création en 2003, est en Asie le plus ancien et mobilise le plus grand nombre de participants. Mais comment Taïwan, ce petit pays insulaire où la valeur traditionnelle de la famille pèse toujours fortement sur la mentalité des gens, est-il devenu un phare de l’activisme pour les droits des personnes LGBT, appelées tongzhi (同志) localement ? Tout s’est déroulé en parallèle avec la démocratisation de la politique taïwanaise.

En 1947, le gouvernement nationaliste (Kuomintang, 國民黨) a instauré la loi martiale à Taïwan et le régime dictatorial de la « terreur blanche » a tenu pendant presque 40 ans. Cependant, après le décès de Chiang Kaï-Chek (蔣介石), à l’aube des années 80, les mouvements politiques pour l’instauration d’une démocratie se sont intensifiés et ont finalement abouti à l’abolition de la loi martiale en 1987, puis la fin des restrictions sur la liberté de la presse en 1988. Une série de mouvements sociaux a aussi eu lieu ces années-là notamment : le Mouvement des lys sauvages (野百合運動) en 1990, qui était alors le plus grand mouvement étudiant dans l’histoire taïwanaise et qui a incité à la première réélection du parlement en 40 ans.

À cette époque, stéréotypes et stigmatisation étaient encore le lot des homosexuels : les médias n’en donnaient qu’une image négative et diffamatoire et les homosexuels se sentaient contraints de rester « dans le placard » par peur des hostilités et de l’isolement social et financier de la famille et des proches. Mais les bouleversements politiques et sociaux les ont beaucoup encouragés : le vrai changement vient en 1986 quand Qi Jia-Wei (祁家威), par une conférence de presse internationale, est le premier taïwanais à faire son coming-out public. 1990 marque la fondation de l’association et magazine lesbien, « Entre nous » (我們之間) : c’est le début de l’activisme LGBT organisé et collectif à Taïwan.

Jusque-là invisible, l’identité LGBT s’est affirmée par l’apparition des associations, leur collaboration, ainsi que l’explosion des œuvres littéraires et artistiques sur le thème homosexuel. Cette affirmation et cette visibilité ont progressivement facilité la lutte contre les préjugés et les politiques discriminatoires, comme l’abus de pouvoir des contrôles policiers fréquents dans les lieux de divertissement.

Par ailleurs, la création de nouvelles émissions à la radio, l’arrivée d’internet dans les années 90 et son anonymat, en particulier la popularité de la plateforme BBS (Bulletin Board System) sur le campus, ont brisé les contraintes physiques et fourni un espace de refuge et de survie aux nombreux homosexuels auparavant démunis et les ont aidés à s’affirmer et à se mobiliser.

Beaucoup d’activistes apparus à cette époque ont également participé à d’autres mouvements politiques et sociaux. Les réformes et la légalisation de la liberté de la presse ont donc alimenté les aspirations des minoritaires (homosexuels, travailleurs du sexe, ouvriers, aborigènes). Depuis 30 ans, l’activisme LGBT à Taïwan n’a jamais été détaché des autres mouvements contestataires et de la conjoncture politique et économique et ces efforts collectifs et populaires ont façonné son profil diversifié.

Cet activisme fait face, aujourd’hui plus que jamais, aux résistances contre les droits LGBT, d’inspiration religieuse et d’extrême-droite. Comme dans d’autres pays, le droit au mariage pour les couples de même sexe est actuellement le fer de lance de l’activisme LGBT à Taïwan. Cet avantage, cet enjeu, incitent le grand public à participer aux débats à plus grande échelle. Mais le risque est grand de laisser croire que c’est la seule revendication des militants LGBT. Il nous faut donc agir désormais avec davantage de prudence, de sang-froid et d’intelligence, en tirant les leçons de l’histoire.

  1. LGBT : l’acronyme de « lesbienne, gay, bisexuel, transsexuel ».