Art

Mort, légèreté et pesanteur dans Seven Days in Heaven

Chiu Shu-Mei
| No. 4 | Posted on 9th Aug 2015

« Maintenant ton corps est comme neuf. Sans blessure, sans trace, sans maladie, comme dans ta jeunesse. »

Ceci est la phrase d’ouverture d’un saïkong 1 dans Seven Days in Heaven. Le film décrit l’enterrement d’un père, le déroulement de funérailles typiquement taïwanaises : l’hôpital maintient la vie du malade pour qu’il puisse mourir chez lui ; les membres de famille doivent prier à des heures spécifiques, brûler des billets funéraires et plier des fleurs en papiers ; les proches envoient des tours faites de canettes de boisson empilées (en forme de pièce montée) et on paie la présence de pleureuses professionnelles. Le metteur en scène mélange le chagrin des funérailles avec de l’humour noir : on observe cette douleur imprononçable se mêler aux flammes pour s’évanouir dans la fumée du papier brûlé.

« Si l’éternel retour est le plus lourd fardeau, nos vies, sur cette toile de fond, peuvent apparaître dans toute leur splendide légèreté. Mais au vrai, la pesanteur est-elle atroce et belle la légèreté ? » écrit Milan Kundera dans son livre L’Insoutenable Légèreté de l’être.

Incarnant cette « légèreté », ce film est adapté d’une nouvelle autobiographique d’Essay Liu, lauréate du prix littéraire Lin Rong-San. « Parfois, je souhaiterais que tout soit plus que léger. Plus que léger même : flottant. Flottant au point que lorsque je retrouverai quelques amis de fac que je n’ai pas vus depuis longtemps, dans un bar noyé dans une musique rock assourdissante. Je poserai ma tête embrumée par les effluves d’alcool sur l’épaule de l’un d’eux, expirant des cercles de fumée en murmurant, comme si de rien n’était : “Au fait, j’ai oublié de vous dire, mon père a lâché” », écrit l’auteur.

Les rituels d’enterrement taïwanais sont d’une complexité difficilement imaginable. L’intensité de ces pratiques funéraires aide néanmoins à faire oublier la douleur des proches. Les funérailles durent sept jours et sept nuits : durant cette période les enfants du défunt ne peuvent pas se coucher dans leur lit ; parfois il faut pleurer, parfois non. C’est ainsi que l’auteur appelle l’enterrement de son père « le voyage le plus ridicule de ma vie ». Il est mort, mais elle espère toujours le revoir à la fin de ces sept jours. « Le septième jour, le cortège funéraire démarre. Tout ce que je sais, c’est que tu reviendras aujourd’hui. Mais où es-tu ? […] Es-tu le fantôme que je protégeais avec mon parapluie noir ces derniers jours ? Ou bien le papillon blanc qui hante l’autel ? Ou es-tu juste ce corps qui moisit, suintant dans des mouchoirs en papier et dans le bois du cercueil ? »

Une scène du film montre l’héroïne en scooter portant un portrait de son père défunt sur son dos. Elle pense au jour de son anniversaire, où son père lui avait appris à conduire ; ils riaient ensemble dos contre dos. Suite à son décès, c’est elle qui porte aujourd’hui son image à travers la pluie, persuadée d’accompagner son père dans son dernier voyage. À la fin du film, nous la retrouvons sanglotant seule, agenouillée au milieu d’un aéroport. « […] Dans le vol de Hong Kong à Tokyo, en voyant les hôtesses pousser leurs chariots remplis de marchandises détaxées, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à te prendre une cartouche de tes cigarettes préférées. Cette pensée d’une demi-seconde a fait couler mes larmes pendant près d’une heure et demie. »

La tristesse de perdre un proche ne se traduit pas toujours par des larmes. Dans notre vie ridiculement courte, nous nous retenons parfois de pleurer pour rester forts. Est-ce pour oublier le chagrin ou bien est-ce pour une autre raison ? Cependant, aux heures perdues de la nuit, dans un aéroport lointain ou devant une sortie abandonnée de métro, nos sentiments refoulés reprennent soudainement le dessus.

Ce que nous croyons avoir oublié existe encore et toujours. Ces souvenirs sont parfois ombres et parfois lumières ; un peu comme la main de l’actrice effleurant des textes bouddhistes sertis dans un mur de crystal. Elle semble y recevoir des messages de l’au-delà.

  1. Un saïkong est un moine taoïste taïwanais. Ses missions est de bénir les nouveaux-nés et d’apaiser les morts.