Histoire

Ce jour, le 28 février 1947

Lai Chien-Huan
| No. 6-1 | Posted on 15th Feb 2016

S’il faut choisir les faits les plus marquants de l’histoire de Taïwan, l’incident du 228 (28 février 1947) n’y échappera pas. Cet épisode a joué un rôle tournant quant à la politique et à la société de l’après-guerre, dont l’influence se fait encore ressentir à nos jours.

En 1895, l’Empire Qing connut une défaite lors d’une guerre contre l’Empire japonais. Conformément au traité de Shimonoseki, Taïwan fut cédé au Japon comme colonie. Pendant les cinquante années du régime colonial, les Taïwanais étaient traités comme des citoyens de seconde zone aux niveaux politique, culturel, économique et social.

C’est ainsi que les insulaires eurent une haute estime pour le gouvernement de Chiang Kaï-Chek et pour la « mère-patrie » chinoise lorsque ceux-ci se virent confier la gouvernance de Taïwan en 1945. Cela poussa même certains Taïwanais, ne connaissant pas le mandarin et les « Trois principes du peuple » de Sun Yat-Sen, à les apprendre. Cependant, le gouvernement chinois perdit vite la confiance du peuple formosan. L’espoir fut transformé en déception puis en colère, et par conséquent, lors d’un contrôle sur la vente des cigarettes privées le 28 février 1947, un incident dégénéra et entraîna une manifestation générale sur toute l’île, revendiquant des réformes politiques, appelée depuis « l’incident du 28 février » ou « 228 ».

La cause de l’incident 228 est multidimensionnelle. La raison principale serait que la Chine et Taïwan se sont développés différemment à partir de 1895. Nés sous le régime japonais, beaucoup de Taïwanais étaient soumis à l’éducation japonaise et influencés par la culture nipponne. Mais après 1945, au lieu de les traiter comme des compatriotes, leur « patrie chérie » les traita comme une population asservie car japonisée. Une attitude supérieure et victorieuse était imposée et c’est un sentiment de recolonisation qu’éprouvèrent les Taïwanais de l’époque. Faute de conciliation, l’écart entre Taïwanais et Chinois continentaux s’amplifia à jamais.

Sur le plan politique, il existait une méfiance au sein du gouvernement Chiang Kaï-Chek vis-à-vis des Taïwanais. Contrairement aux autres provinces qui possédaient chacune leur préfet, la gouvernance de Taïwan fut menée par une institution ad hoc dite « Gouvernorat provincial de Taïwan », dont le pouvoir dépassait largement celui d’un préfet normal et ressemblait ironiquement à celui du gouvernorat-général instauré auparavant par les colonisateurs. Les Taïwanais furent quasiment exclus du Bureau administratif. Sur le plan économique, l’excès de masse monétaire conduisit à une inflation catastrophique. De plus, la politique économique ultra-conservatrice restreignit le libre-échange et nationalisa des secteurs importants, ce qui entraîna du chômage et la dépression. Tout cela n’améliora pas le ressenti des Taïwanais envers ce nouveau gouvernement, considéré comme indiscipliné, insolent et très corrompu, sans aucune notion de l’État de droit. Enfin, le mécontentement des Taïwanais entraîna l’incident 228.

Le 27 février 1947, six contrôleurs du Bureau provincial des commerces monopolistes de Taïwan, dont Fu Hsueh-Tung (傅學通) et Yeh Te-Ken (葉得根), confisquèrent tous les biens d’un individu nommé Lin Chiang-Mai (林江邁) qui était en train de vendre ses cigarettes privées. Suite à la supplication de Lin, l’équipe du contrôle lui rendit son argent et les marchandises légales, mais Yeh la trouva insupportable et la blessa avec une crosse de fusil. Ceux qui étaient témoins de la scène furent choqués par cette violence et cela mit le feu aux poudres. Fu essaya de reprendre la situation en tirant son arme, mais une balle perdue blessa un spectateur. Le lendemain, ce fut une grève générale qui se propagea sur l’île entière.

Chen Yi (陳儀), alors gouverneur de Taïwan, fit semblant d’accepter les revendications des Taïwanais, mais appela en fait à l’aide le gouvernement de Nankin pour envoyer des renforts et mener une répression militaire. De nombreux membres de l’élite taïwanaise firent une pétition qu’ils voulaient envoyer à Chiang Kaï-Chek pour dénoncer la politique du gouvernorat et empêcher l’envoi des troupes. Cependant c’est bien Chen qui gagna la confiance de Chiang. À partir du 8 mars, des régiments militaires arrivèrent au port Keelung et ce fut le début de ce massacre historique.

Dès lors, l’incident 228 devint un tabou. Il fallut attendre la levée de la loi martiale en 1987, soit 40 ans plus tard, pour que les recherches sur l’événement et les critiques publiques sur ce massacre puissent avoir lieu.