Histoire

Les conséquences de la Seconde Guerre mondiale à Taïwan : de la colonisation à l’affirmation de la souveraineté nationale

Sun Yu-Jung
| No. 1 | Posted on 27th Oct 2014

La Seconde Guerre mondiale a ébranlé en profondeur l’ordre politique en Extrême-Orient. Lorsqu’on évoque ce conflit en Asie, le premier pays auquel on pense est le Japon. Or, un autre pays, dont le gouvernement dut prendre le chemin de l’exil peu de temps après la guerre, y joua un rôle décisif dans cette région du monde : il s’agit de la République de Chine, le régime actuel à Taïwan.

De l’Empire à la République

Longtemps avant le déclenchement des conflits mondiaux en Europe, la Chine subissait déjà les affres de la guerre. Le vieil Empire chinois n’avait su prendre à temps la voie de la modernisation et dut en souffrir les conséquences. Les pays occidentaux, avides de nouveaux débouchés commerciaux et de ressources, profitèrent du déclin des institutions pour étendre leur influence en Chine. Les commerçants se firent peu à peu colonisateurs. En 1839, la première guerre de l’opium éclata entre la Chine et l’Angleterre, qui souhaita pénétrer au marché chinois. L’Empire Qing vaincu dut céder Hong Kong et ouvrir cinq de ses ports aux Britanniques, dont Shanghaï. D’autres agressions étrangères suivirent, conduisant au partage de l’Empire en zones d’influence entre les puissances occidentales, l’Angleterre, l’Allemagne, la France, etc. En 1895, c’est au tour du Japon de s’en prendre à son grand voisin. Au terme de cette Première Guerre sino-japonaise, le Japon prit possession de Taïwan , qui demeura sous sa domination jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Cette crise nationale entraîna l’apparition de mouvements révolutionnaires chinois. En 1911, le parti nationaliste (Kuomintang) renversa ainsi la dynastie Qing pour fonder la République de Chine. Celle-ci sombra toutefois bien vite dans la guerre civile. Profitant du désordre et du manque d’unité du pays, le Japon, cherchant à s’affirmer comme grande puissance en Asie, put reprendre ses projets de l’expansion coloniale. L’armée impériale envahit le nord de la Chine en 1931, puis le reste du pays en 1937, perpétrant de nombreux crimes de guerres. Si les massacres commis par les Nazis sont restés gravés dans les mémoires des Européens, les souffrances endurées par les Chinois ne furent pas en reste et paraissent souvent négligées dans le reste du monde.

La République de Chine s’engagea aux côtés des Alliés pendant la guerre pour faire face à l’invasion japonaise. La victoire lui permit de récupérer Taïwan, après près d’un demi-siècle d’occupation. Et c’est à Taïwan que le gouvernement nationaliste put se réfugier en 1949, au terme de la guerre civile remportée sur le continent par les communistes. Deux Chine se font face depuis lors, la République populaire de Chine cherchant à délégitimer la République de Chine.

Une double colonisation à Taïwan

Lorsqu’ils occupaient Taïwan, les Japonais modernisèrent le pays afin de lui soustraire plus aisément les ressources et d’en faire une base en vue de l’invasion de l’Asie du Sud-Est. Cette modernisation permit aux Taïwanais de bénéficier d’infrastructures électriques, du télégramme, du chemin de fer, de l’éducation, d’un système financier, etc. Toutefois, en dépit de ces améliorations des conditions matérielles, les Taïwanais n’en durent pas moins souffrir les vexations des colonisateurs japonais, cherchant à s’emparer de leurs ressources et dénigrant leur propre culture. De même, lorsque la République de Chine se replia à Taïwan, une autre domination coloniale se fit jour, s’appuyant sur les structures héritées du Japon, d’abord pour soutenir les guerres en Chine, puis pour récupérer la Chine continentale occupée par les communistes.

Les communistes chinois ne parvinrent pas à traverser le détroit de Taïwan et à vaincre les nationalistes, qui reçurent le soutien des États-Unis, en lutte contre le communisme. Le leader nationaliste Chiang Kaï-Chek sut gagner l’alliance avec les Américains pendant la guerre civile, alliance qui perdura pendant la guerre froide. Entre 1951 et 1965, la République de Chine reçut ainsi 148 millions de dollars. Les États-Unis influencèrent en profondeur l’industrie et l’économie insulaires, et plus largement la politique taïwanaise. L’île se trouva de nouveau dans l’orbite d’une puissance étrangère, prise en étau entre la Chine et l’Amérique.

Gouvernement exilé

Lorsque des rivalités apparurent au sein du bloc communiste entre les Soviétiques et les Chinois pendant la guerre froide, les États-Unis perçurent leur avantage à se rapprocher de ces derniers. De plus, conscients des ressources et de l’immensité du marché potentiel en Chine, les Américains souhaitaient normaliser leurs relations avec ce pays. Taïwan fut pénalisée par cette réorientation de la politique étrangère américaine. En 1971, la République de Chine dut ainsi céder à la République populaire de Chine son siège permanent au Conseil de sécurité aux Nations unies, obtenu à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Tandis que la Chine continentale accédait ainsi au rang des grandes puissances, Taïwan se retrouvait mis à l’écart. Peu de pays reconnaissent officiellement le gouvernement de la République de Chine. Nombreux sont ceux qui, tout en gardant des relations diplomatiques avec Taïwan, admettent le principe « d’une Chine unique » exigé par la République populaire. C’est notamment le cas de l’Union européenne ou de la Russie. Les États-Unis ont admis l’unification de Taïwan à la Chine continentale, à condition que celle-ci soit pacifique.

Indépendance de facto du gouvernement taïwanais

Le gouvernement actuel à Taïwan reste le gouvernement de la République de Chine et non pas le gouvernement de la République de Taïwan. Malgré le fait d’être un gouvernement illégitime sur la scène internationale, Taïwan a réalisé sa démocratisation, mettant progressivement fin au système État-Parti, mis en place par le Kuomintang entre 1949 et 1987. Le régime en place à Taïwan conserve le nom de la République de Chine, affirmant son indépendance par rapport à la Chine continentale, malgré les pressions que celle-ci exerce. La souveraineté de l’île est consolidée par la lutte des citoyens taïwanais, dont beaucoup refusent de subir le sort des Hongkongais qui ont perdu une grande partie de leurs libertés en intégrant la République populaire de Chine.

Taïwan hérite certainement la culture de la Chine ancienne avant la Révolution culturelle. Le fait que les Taïwanais parlent le mandarin et écrivent le chinois traditionnel justifie la position dominante de la culture chinoise à Taïwan. Toutefois, Taïwan est une société très diverse, issue de multiples vagues de colonisation et d’immigration. Elle comprend des éléments divers, issus des coutumes japonaises, aborigènes, etc. Les citoyens de la République de Chine ne se présentent plus comme les « vrais Chinois » qui gardent la culture traditionnelle. En revanche, ils se présentent comme les Taïwanais, porteurs d’une culture propre et autonome, fusionnant les multiples caractères de l’île.