Histoire

Lorsque le malheur se transforme en art

Zhang Bei-Xiang
| No. 6-1 | Posted on 15th Feb 2016

L’incident du 28 février reste comme une blessure encore non refermée dans la société taïwanaise. Le sort a voulu que le gouvernement chinois ayant autorisé le massacre des Taïwanais et des manifestants chinois, soit devenu le gouvernement représentant de Taïwan peu de temps après le massacre. S’agissant d’un événement de cette nature, il faut toujours considérer le contexte social et les structures de pensées qui l’ont rendu possible. Dans le cas de l’incident du 28 février et de la période qui l’a suivi, l’appareil gouvernemental totalement pénétré par le parti Kuomintang, tout en ayant rendu possible un progrès économique remarquable, a imposé un effacement presque total du peuple.

La « terreur blanche » désigne la période d’abolition de la liberté d’expression et de restriction extrême des libertés individuelles consécutive à l’incident du 28 février. Selon cette expression née en Amérique latine, la terreur blanche est une « disparition forcée ». Ce terme fait référence à la « terreur » de la Révolution française, mais aussi à la Commune de Paris, lorsque le rouge de la commune faisait face à la blancheur de la troisième République. Ces deux mêmes couleurs ont représenté pareillement le conflit et le déchirement intérieur de l’État en Finlande et en Russie au XXe siècle.

À Taïwan, même si la période de la terreur blanche a pris fin il y a déjà une trentaine d’années, tous les ans, aux alentours du 28 février, le conflit et le déchirement au sein de la société taïwanaise refont surface.

Les Taïwanais jouissent désormais de cette liberté d’expression dont ils ont été trop longtemps privés. Aujourd’hui, tout discours, tout propos au sujet de l’incident du 28 février est permis. Sans cette liberté d’expression, l’émergence et le développement actuels de nombreuses formes d’art seraient impossibles à Taïwan, ou bien les artistes finiraient comme le peintre Chen Cheng-Po (陳澄波), qui fut humilié et condamné à mort après l’incident du 28 février.

Le mémorial de l’incident ne semble plus n’avoir qu’une fonction de monument, la tonnelle dans le parc mémorial n’est plus seulement un endroit où les homosexuels se rassemblent. Les artistes se sont approprié le lieu, et essaient de décorer le mémorial avec des colombes blanches pour apaiser la peine subie par le peuple. Mais celui-ci répond parfois par des graffitis emplies de colère. Aussi les artistes ont-ils pris conscience qu’après une période d’étouffement et d’interdictions aussi longue, l’art s’est éloigné de la société, et que les deux ne s’entendent plus.

C’est pourquoi depuis quelques années, les artistes taïwanais sortent de leurs studios, entrent dans les charniers, les terrains d’exécutions, les maisons de soin et de psychiatrie, pour retrouver la réalité sensible de cette époque où nous vivons. Ces artistes, qui cherchent à montrer la disparition de l’oppression et de la menace, s’emploient à tester les limites qui ne peuvent être franchies et transgressées aujourd’hui. Et à travers leur art, ceux qui sont morts sans avoir pu faire entendre leur voix commencent enfin à être entendus.