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Lettre ouverte à M. Jean-Luc Mélenchon

| Posted on 17th Jan 2017

Quand Trump passe un coup de fil à la présidente de Taiwan, il sait qu’il fait une provocation énorme, c’est comme si Trump avait téléphoné directement à Madame Le Pen pour lui demander ce qu’elle pense de la situation en France. On aurait dit mais qu’est-ce que c’est que cette histoire, pourquoi il appelle cette femme qui n’est pas présidente de notre pays, plutôt que le président de notre pays. Vous comprenez ? »

Jean-Luc Mélenchon, 13 janvier 2017.

Monsieur Mélenchon,

La femme dont vous parlez, Tsai Ing-Wen, est la présidente de notre pays. Votre comparaison, Monsieur Mélenchon, entre elle et Marine Le Pen est inacceptable, hormis sur un seul point : elles sont toutes deux des femmes politiques. Mais nous osons espérer que le sexe n’est pas votre critère lorsqu’il s’agit de jauger des politiciens.

Premièrement, nous considérons que Marine Le Pen est une personnalité populiste d’extrême droite, aux idées sectaires et aux propos souvent agressifs. Tsai Ing-Wen, au contraire, est une intellectuelle mesurée, élue sur un programme progressiste. En janvier 2016, les 23 millions de Taïwanais l’ont élue avec une marge confortable contre le candidat du parti nationaliste, notamment en raison de l’insoumission d’une majorité de Taiwanais aux velléités d’expansion impérialiste de la Chine, et au refus la pénétration des capitaux chinois accordée par le précédent gouvernement. Sa légitimité en tant que chef d’État de Taïwan est également garantie par un processus électoral démocratique irréprochable. Par conséquent, quand M. Trump accepte un appel téléphonique de la présidente de Taïwan, il parle directement à la présidente démocratiquement élue d’un pays indépendant de fait, d’affaires concernant les États-Unis et Taïwan, et non pas celles entre les États-Unis et la Chine.

Et là se profile la deuxième dimension de votre erreur. Car affirmer que Mme. Tsai Ing-Wen n’a pas la légitimité d’un chef d’État, ou que Taiwan n’a pas vocation à exister en tant qu’État, c’est méconnaître plus largement la situation politique actuelle et l’histoire de Taiwan. La situation à laquelle vous faites référence est celle communément admise par défaut par un grand nombre de gens en France et dans le monde : une vision déterminée par le discours chinois. Cette vision, qui date de la fin de la guerre civile en Chine en 1949, est la suivante : deux Chines, l’une communiste et victorieuse, ayant étendu son contrôle sur toute la Chine continentale, l’autre nationaliste et défaite, contrainte de se replier sur l’île de Taiwan, faisant de cette dernière une « province rebelle » à « reconquérir ».

Ce discours des « deux Chines », qui était déjà une simplification à l’époque, est aujourd’hui tout à fait faux. La Chine d’aujourd’hui est toujours une dictature à parti unique, mais elle n’est plus communiste du tout. Taiwan, de son côté, a évolué d’une dictature du même type importée de Chine, vers un régime démocratique pleinement fonctionnel, forgé localement. La Chine s’arque-boute donc sur une définition obsolète de la situation, et interdit toute évolution de la situation pour diverses raisons, avant tout nationalistes, et promeut une vision hégémonique : tous les peuples de culture ou de langue han doivent être « harmonieusement » réunis sous la bannière unique de la Chine. Certes, comme vous le soulignez, la Chine s’est développée depuis les années 80 en devenant l’usine du monde, et non pas via des prédations hégémoniques ; en opérant cependant une transformation capitaliste radicale. Mais, sans détailler les conditions de cette transformation, la Chine, devenue puissante, réaffirme certaines prétentions irrédentistes qu’elle n’avait jamais abandonnées, et adopte un comportement de plus en plus hégémonique, contrairement à ce que vous laissez entendre.

Depuis une trentaine d’années, à la faveur d’un changement de génération, mais également au vu de son histoire complexe, Taiwan offre cet exemple rare d’une démocratie de culture confucianiste, qui s’est construite toute seule dans l’adversité. Elle a accompli un chemin qui lui est propre, et qui force le respect. Dans de nombreux domaines, les Taiwanais en remontrent à bien des pays modernes : en matière de démocratie, de développement social et environnemental, de lutte contre le sexisme et l’homophobie, etc. Taiwan est aujourd’hui un véritable laboratoire d’innovation politique à ciel ouvert, et ses forces progressistes luttent pour les mêmes valeurs que leurs homologues en Europe et ailleurs, dont le mouvement de la France Insoumise.

Taiwan mérite donc mieux qu’une attention sporadique, uniquement déterminée par la question des relations avec la Chine. De plus, quand il s’agit des Etats-Unis d’Amérique, la France Insoumise n’hésite pas à soutenir des positions anti-impérialistes, et à réaffirmer le droit à l’autodétermination des peuples. Ne serait-ce que pour cela, il en va de votre cohérence avec ces valeurs et ces positions, de soutenir Taiwan aujourd’hui. Nous espérons que le courage et l’insoumission des Taiwanais vous inspireront, vous et votre mouvement, et que vous saurez renouveler votre vision de ce sujet épineux, qu’est la question taiwanaise !

La rédaction d’Aurore Formosane
17/01/2017