Société

La Bible et la démocratisation de Taïwan

Sun Yu-Jung
| No. 4 | Posted on 9th Aug 2015

La laïcité est née en France en raison des conflits entre l’État et l’Église, mais à Taïwan, paradoxalement, les églises, et notamment le protestantisme, ont joué un rôle incontestable dans la démocratisation du pays et dans le mouvement indépendantiste. Il peut paraître étrange, mais la démocratie et la liberté sont des valeurs d’origine occidentale, et les missionnaires en poste à Taïwan sont vite devenus la principale source de propagation de ces idées modernes.

Les premiers missionnaires sont arrivés au 17e siècle. À cette époque, ce furent surtout des aborigènes taïwanais qui se convertirent au christianisme et acceptèrent l’éducation dispensée par ces missionnaires. Néanmoins, lorsque quelques années plus tard, des Chinois installèrent pour la première fois un système de gouvernance sur l’île, la religion chrétienne n’eût plus droit de cité à Taïwan.

Les missionnaires furent de retour au 19e siècle, et fondèrent de nombreuses églises sur l’île. C’est à ces presbytériens médecins, qui soignèrent les habitants insulaires et construisirent des hôpitaux, qu’on doit l’implantation du christianisme sur l’île. Ils construisirent des écoles, fondèrent le premier journal, rédigèrent l’histoire de Taïwan à partir de documents historiques et accomplirent toutes les activités religieuses en langue véhiculaire de l’époque, taïwanais. Outre sa foi, le christianisme introduisit ainsi sur l’île une médecine, une pensée et tous les autres outils d’une modernité conçue par l’Occident. Il en résulta un système qui peu à peu forma les élites économiques, sociales et intellectuelles taïwanaises.

En 1949, le gouvernement nationaliste chinois replié à Taïwan instaura la loi martiale, interdit l’usage des langues taïwanaises, et prit le contrôle de certaines activités religieuses. Ce gouvernement mit ainsi la Bible en langues taïwanaise et aborigènes à l’index, et opprima les organisations religieuses locales, au premier rang desquelles l’église presbytérienne qui était la plus active dans la société taïwanaise. Cependant, où l’oppression règne, la résistance naît, car les croyants presbytériens, membres des élites taïwanaises, se trouvèrent vite confrontés à une double discrimination : religieuse et politique. L’intervention de l’église presbytérienne dans la vie politique taïwanaise prit donc racine dans le combat pour la liberté de culte mené contre un gouvernement « chinois » qui refusait de s’inscrire dans la complexe organisation de la société taïwanaise.

En 1971, la République de Chine (régime actuel à Taïwan) fut exclue de l’ONU au profit de la République populaire de Chine (la Chine communiste). Le gouvernement installé à Taïwan perdit depuis lors toute légitimité d’être chinois dans la communauté internationale, et c’est dans ce contexte que l’église presbytérienne taïwanaise publia la même année les Déclaration et Conseil de l’église presbytérienne taïwanaise à l’État de Taïwan où elle met l’accent sur « le droit des Taïwanais de déterminer leur propre destin ». De plus, elle demanda en 1977 au gouvernement d’abandonner sa représentation irréaliste de la République de « Chine » et de constituer un État indépendant. C’est ainsi qu’au cours de la loi martiale, de 1949 à 1987, la lutte pour la liberté de religion se transforma en lutte politique au soutien des mouvements démocrates et indépendantistes.

La nature de l’intervention du christianisme dans la société taïwanaise est donc fort différente de celle qui a eu lieu en France en raison des conditions historiques de l’apparition de l’église presbytérienne, et de son profond enracinement dans la société taïwanaise qui en a résulté.