Société

Les Taïwanais sont-ils croyants ?

Lin Chieh-An
| No. 4 | Posted on 9th Aug 2015

« Les Taïwanais sont-ils croyants ? » C’est une question que les Français me posent fréquemment. La question paraît naïve, je n’ose pourtant pas y répondre avec simplicité. Selon des études officieuses, le taoïsme et le bouddhisme sont les deux religions les plus populaires à Taïwan. Chacune est pratiquée par environ un tiers de la population. Dans les 10% restants, on trouve des chrétiens (4% dont deux tiers de protestants) et des ikuan tao (3%). Les musulmans sont, quant à eux, en minorité (0.2%). Au vu de ces chiffres, on aurait tendance à croire que plus de trois quarts des Taïwanais sont croyants. Néanmoins, cette logique est trop simpliste pour décrire la réalité complexe de la sociologie religieuse taïwanaise.

Coutumes traditionnelles et pluricroyance

La première source de complexité est l’existence des « coutumes traditionnelles ». Ils s’agit d’activités organisées au cours des fêtes traditionnelles telles que Qing Ming (culte des ancêtres), la fête des fantômes (prière pour les morts) et le nouvel an, ou pendant des occasions spéciales comme l’ouverture d’un magasin, une période d’examens scolaires, et l’anniversaire d’un dieu. Bien que ces cultes soient d’origine taoïste, il serait imprudent de juger que tous ses pratiquants sont croyants. En effet, il est difficile de distinguer ceux qui pratiquent d’un point de vue purement culturel de ceux qui sont superstitieux (i.e. croient par crainte de malheur) et de ceux qui croient vraiment l’existence des dieux. Même si la quasi-totalité de la population respecte ces coutumes, cela ne veut pas dire que les Taïwanais sont tous taoïstes.

La seconde source est la « pluricroyance » : pratiquer plusieurs religions en même temps. Plusieurs enquêtes montrent qu’il existe un chevauchement non négligeable entre les bouddhistes et les taoïstes taïwanais, ce qui réduit le nombre total de croyants. Ceci montre que la frontière entre le bouddhisme, le taoïsme et les croyances traditionnelles reste très floue à Taïwan.

Vocations sociales et laïcité inexistante

Il existe des ressemblances entre Taïwan et la France en ce qui concerne la religion. Si dans les villes françaises les églises ont toujours leurs places, à Taïwan, ce sont les temples. En France, il n’est pas nécessaire d’être chrétien pour fêter Noël, tout comme à Taïwan, baïbaï1 est devenu une manière d’être, valable aussi pour les non-croyants. Un dernier exemple : la liberté de religion est garantie à Taïwan comme en France, contrairement à la Chine où les pratiques de cultes sont formellement interdites.

Mais il existe également des dissonances qui paraîtraient étonnantes aux yeux des Français. À Taïwan, une partie des mesures sociales sont assurées par les religions. Beaucoup de temples taoïstes permettent, par exemple, aux gens d’emprunter une petite somme d’argent sur l’honneur à taux zéro ; les églises investissent dans la santé publique et dans l’éducation en parallèle du gouvernement ; et le bouddhisme taïwanais est connu pour sa participation au bénévolat. Par conséquent, les religions donnent en général une image très positive, et les Taïwanais apprécient et sont généreux envers les organismes de culte. Cette générosité permet aux religieux de continuer d’assurer leurs vocations.

D’autre part, la participation politique des organismes religieux taïwanais est aussi à souligner. Par exemple, le taoïsme taïwanais a un lien très étroit avec l’économie et la population rurales. Ainsi, les dirigeants politiques locaux et les députés sont souvent proches des dirigeants religieux. Parfois même, ils ne font qu’un. Du côté du bouddhisme, on s’habitue à voir ses responsables faire une déclaration politique ou s’entretenir avec les présidents de parti. Cette participation politique se retrouve également chez les chrétiens de manière similaire. L’église presbytérienne taïwanaise est pionnière dans le mouvement d’indépendance et nombreux sont les chefs indépendantistes chrétiens. En somme, la notion de laïcité (au sens stricte) n’existe pas à Taïwan. Au contraire, les partis politiques s’attachent à entretenir d’aussi bonnes relations les leaders religieux qu’avec les hommes d’affaire.

En résumé, les Taïwanais ne sont peut-être pas très croyants au sens rigoureux d’identité religieuse, mais les organismes de culte sont et ont toujours été des acteurs importants de la société. La religion ne se cantonne pas au seul plan personnel chez les Taïwanais. Son poids dans la vie politique, économique et sociale est loin d’être négligeable.

  1. Baïbaï est une prière taoïste. Le pratiquant tient un nombre impair de bâtons d’encens dans ses mains, et les oscillent légèrement verticalement en fermant les yeux et en pensant au contenu de la prière. Baïbaï peut aussi se faire sans encens. Dans ce cas-là, le pratiquant joint ses mains paume contre paume avec les doigts pointés vers le haut.