Société

Se libérer de l’uniformité : une histoire des mouvements sociaux lycéens à Taïwan

Sun Yu-Jung
| No. 8 | Posted on 3rd Nov 2016

Les uniformes scolaires en Asie sont souvent une source de fantasmes, surtout en raison de l’image véhiculée par les mangas japonais. Chaque année, à la Japan Expo, on peut constater le vif engouement des visiteurs pour les uniformes scolaires ou les tenues qui s’en inspirent plus ou moins directement. Mais cela est très éloigné de ce que nous évoque l’uniforme scolaire le plus souvent, surtout à nous Taïwanais. Loin de l’image fun et sexy renvoyée par les mangas japonais, cette uniformité ne s’arrête pas à une simple règlementation vestimentaire à Taïwan. Elle pénètre jusqu’au moindre détail de l’apparence des élèves : longueur des cheveux, distance entre la jupe et les genoux, coiffure, couleur des chaussures etc. L’exigence d’uniformité à l’école est très proche de celle de l’armée. Cette réglementation, qui porte sur l’ensemble de l’apparence des élèves, était auparavant tellement stricte et intolérante que ceux qui avaient par exemple des cheveux naturellement moins noirs, étaient obligés de les teindre pour éviter une punition pour s’être teint les cheveux. Depuis les années 2000, les élèves et les étudiants ont commencé à lutter contre les punitions imposées pour régenter leur apparence. L’histoire de ces mouvements lycéens contre l’uniformité scolaire révèle une jeune génération qui refuse la perspective d’une société obéissante et uniforme. Cette volonté de transgression de la société taïwanaise, avant tout chez les jeunes, lui permet de rester active et dynamique.

2001 : « Je ne ferai pas couper mes cheveux tant que la réglementation sur les cheveux ne sera pas abolie »

Les étudiants taïwanais ont lutté pour la démocratisation de Taïwan dans les années 1990. Mais la conception du droit des citoyens est restée pendant longtemps étrangère à la société taïwanaise en raison des valeurs de hiérarchie et de soumission, prépondérantes dans une culture dominée par le confucianisme. Cependant, le vent des idées libertaires avait commencé à souffler sur la jeune génération, et comme partout ailleurs, il ne fut guère plus longtemps possible d’empêcher les tentatives de mise en pratique. Les mouvements étudiants pour la liberté d’expression se sont amplifiés dans les années 1990, et à partir des années 2000, les lycéens ont commencé à se mobiliser pour les droits des élèves, et contre les règlements quasi militaires qui régentaient le corps des élèves.

En 2001, l’Association de la promotion des droits des lycéens a réclamé l’annulation des punitions pour coiffure non règlementaire. Les punitions pour manquement aux règlements sur l’apparence des élèves étaient parfois très sévères, et pouvaient même aller jusqu’à l’exclusion.

Afin de lutter contre ces règlements et ces punitions déraisonnables qui n’avaient aucun rapport avec l’apprentissage, un lycéen décida de ne plus se couper les cheveux. Ses cheveux ne tardèrent par à devenir trop longs selon les critères règlementaires, et l’instructeur militaire de son lycée (voir l’article « L’instructeur militaire ») ainsi que la direction, essayant d’abord de le raisonner, finirent par organiser une réunion pour le punir, qui provoqua immédiatement une série de manifestations lycéennes contre les règlements sur les cheveux partout à Taïwan. Ces règlements devinrent très rapidement un sujet de débat dans la société. Pendant quelques années, le conflit entre l’école et les lycéens s’aggrava au sujet de la coiffure règlementaire. Enfin, en 2005, les punitions pour coiffure non règlementaire furent interdites par la loi.

2010 : « Oups, j’ai lâché mon pantalon ! »

De nos jours, la coiffure règlementaire est bien enterrée dans le passé, et c’est devenu un souvenir assez amusant que partagent ceux qui l’ont vécu. Mais malheureusement, cette époque où l’école mettait en place toute une série de règlements pour régenter l’apparence des élèves est encore loin d’être terminée.

En 2010, un lycée de filles de la ville Taïnan a accueilli un nouvel instructeur militaire, qui a exigé que les élèves obéissent au règlement de l’école dans les moindres détails. Une règle vestimentaire en particulier (parmi de nombreuses autres) a déclenché une série de mouvement d’élèves. Selon le règlement alors en vigueur, les élèves ne pouvaient porter la tenue de sport que pendant le cours de sport, et les élèves ne pouvaint pas entrer ou sortir du campus sans porter l’uniforme conventionnel (chemise, pantalon pour l’hiver et jupe pour les filles pour le reste du temps). Ce règlement était jusqu’alors peu appliqué, mais le nouvel instructeur militaire en exigea l’exécution stricte, ce qui provoqua un conflit entre les élèves et l’instructeur militaire, et déclencha finalement un mouvement d’élèves plus vaste contre les punitions pour non conformité vestimentaire.

Un jour, pendant la cérémonie hebdomadaire où toutes les élèves de l’école se rassemblent, les deux milles lycéennes enlevèrent leurs pantalons. En dessous, toutes portaient le short réglementaire de la tenue de sport. Ce geste de protestation audacieux attira immédiatement l’attention de la société, et déclencha toute une série de mouvements visant à assouplir les critères de l’uniformité dans les lycées.

2016 : « Ne m’apprend pas à être libre si je n’ai même pas le droit de gouverner mon propre corps »

Depuis 2010, les étudiants et les élèves taïwanais se mobilisent, et remettent en question l’exigence d’uniformité à l’école, ou même dans la société. Aurore Formosane a contacté l’association Free from uniform (se libérer de l’uniforme). Son président, Siao Jhu-Jyun explique : « L’idée centrale de ce débat sur la question de l’uniforme scolaire ne consiste pas à supprimer tout règlement vestimentaire, ou à interdire tout uniforme scolaire. Au contraire, ce mouvement d’élèves manifeste l’importance d’apprendre la valeur de liberté, et pas seulement d’une manière abstraite dans les manuels scolaires, mais en agissant et en remettant en question des règles qui ne sont pas fondée sur l’apprentissage de l’autonomie. »

En 2016, le gouvernement a finalement passé un règlement qui autorise les élèves à porter la tenue d’uniforme de leur choix parmi celles d’été, d’hiver et de sport. Mais le combat des associations d’élèves n’est pas terminé, car à de nombreux égards, les règlements scolaires continuent de régenter l’apparence des élèves. C’est pourquoi plusieurs d’entre elles continuent de se mobiliser pour négocier un équilibre avec les administrations de leurs écoles, afin de faire la distinction entre ce qui relève de l’établissement d’une norme